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Service citoyen à la rue de la Loi

‘Burgerdienst in de Wetstraat’
Livre de Christian Leysen, parlementaire Open VLD de la Province d’Anvers
.

L’entrepreneur Christian Leysen est passé du monde des affaires à la politique à l’automne de sa carrière professionnelle. En tant qu’homme politique atypique, il se sentait un peu comme « Tintin au Parlement »  : curieux et émerveillé, sans être naïf. Ces quatre années au Parlement ont été, selon son expérience, une sorte de service citoyen. À l’approche de la fin de la législature, il emmène le lecteur dans les coulisses de la rue de la Loi. Pourquoi les affaires et la politique sont-elles un mariage difficile et que peuvent-elles apprendre l’une de l’autre ? Pourquoi la politique a-t-elle besoin de plus de lapins gris ? Et comment en faire une mission « noble » ?

Paperback ISBN 978-94-6337-998-4 (Pelckmans – Januari 2024 – 24,50 euro)
En vente en librairie ou via les sites du Standaard Boekhandel ou BOL.COM

Christian Leysen  (1954 – Anvers) a fondé l’entreprise ICT Xylos, a repris le contrôle de l’entreprise familiale Ahlers en tant que troisième génération et il a été actif en tant qu’administrateur dans des sociétés aussi bien publiques que cotées en bourse.

Il a contribué à promouvoir la responsabilité sociale des entreprises et s’est impliqué dans le dossier Oosterweel. En 2019, il a été élu député de l’Open Vld (mais ne renouvellera pas son mandat).

AVEC UNE FRANCHISE RAREMENT VUE EN POLITIQUE.
Rik Van Cauwelaert, journaliste DE Tijd

UN APERÇU EXCEPTIONNELLEMENT FACILE À LIRE ET RÉALISTE DU FONCTIONNEMENT DE LA POLITIQUE ET DES RAISONS POUR LESQUELLES NOUS DEVRIONS TOUS Y PARTICIPER.
Manu Claeys, écrivain et fondateur STRATEN-GENERAAL à  Anvers

UNE EXPLORATION DE LA RUE DE LA LOI, SOUVENT INSONDABLE, ET DE SES ENJEUX.
Gert Noels, économische et fondateur ECONOPOLIS

(sortie la semaine du 8 janvier 2024 – éditeur Pelckmans )

EXTRAITS
Engagement politique comme service civique ( pages 9-18)
Une meilleure gestion de l’institution Parlement Féderal est nécesaire( pages 69 à 72 )
Qui détient vraiment le pouvoir ? (pages 108 à 115 )
Plus de nuances de gris au Parlement ( page 154 )
Franchir la frontière linguistique (pages 158 – 159)

Engagement politique comme service civique ( pages 9-18)

Dans l’Athène antique (vers 500 à 300 avant J.-C.), la gouvernance était entre les mains des citoyens. Nuance : entre les mains de citoyens mâles et libres. De grandes assemblées populaires décidaient des nouvelles lois. Les législateurs et les fonctionnaires étaient sélectionnés de deux manières différentes: ils étaient élus parmi tous les citoyens ou tirés au sort pour une durée d’un an. Les Grecs de l’Antiquité étaient imprégnés de l’idée de citoyenneté : si chaque citoyen participe à l’État, une société juste émergera naturellement.

La démocratie directe était une manifestation de cette citoyenneté. Cogérer la police pendant un an était une forme de service civique.

En lisant des articles sur les Grecs de l’Antiquité, il m’est venu à l’esprit que ma législature en tant que député est en fait mon service civique.

Il y a plus de quarante ans, à ma grande surprise, mais aussi avec un certain soulagement, j’ai été réformé pour mon service militaire. J’ai finalement effectué mon service civil avec quatre décennies de retard. Non pas dans une caserne éloignée, mais à la Rue de la Loi. Au cœur de notre démocratie.

Ne serait-il pas judicieux de transposer cette interprétation grecque de la citoyenneté à notre société contemporaine ?

Cette fois, bien entendu, en l’étendant à tous les citoyens, et pas seulement aux hommes. Pour la plupart des Belges, la politique est un concept très éloigné. Pourtant, la politique a un impact considérable sur nos vies. Du berceau à la tombe, la politique a une énorme influence sur les opportunités qui s’offrent à nous et sur les choix que nous pouvons faire.

Une influence trop importante, si vous voulez mon avis. Mais, encore une fois, dans une démocratie, vous pouvez faire quelque chose en tant que citoyen. En votant, mais aussi en mettre les mains dans le cambouis.

Imaginez un peu : un service civique « politique » d’un an pour tous les Belges. L’expérience me semble fascinante et mérite d’être développée. Passer un an à aider à faire fonctionner la commune, la province, la région ou le pays où vous vivez, étudiez, travaillez. Cela augmenterait-il la portée de la politique et de la démocratie ? Cela permettrait-il d’améliorer les politiques et les décisions ?

Détaché et libre Je suis entré en politique avec un état d’esprit différent de celui de la plupart de mes collègues. Pour la plupart des hommes politiques, la politique est une carrière. De nombreux députés sont débauchés au niveau local et/ou dans les cabinets ministériels. Certains députés ont déjà été ministres, d’autres rêvent de le devenir. Ils connaissent le jeu politique et savent comment le jouer. Ce sont souvent de fidèles soldats du parti, car c’est le parti qui décide de leur destin et de leur carrière. Cela ne veut absolument pas dire qu’ils ne sont pas de bons parlementaires.

Le Parlement est peut-être moins l’épicentre de la politique qu’autrefois, à supposer qu’il l’ait jamais été. Le pouvoir s’est de plus en plus déplacé du Parlement vers les cabinets ministériels et les sièges des partis. Mais un travail parlementaire solide reste un moyen de faire avancer les choses à la Rue de la Loi. Pour la plupart des députés, le travail parlementaire va donc de pair avec leur plan de carrière personnel. Ce qui est bon pour le pays est bon pour leur propre carrière. Il n’y a d’ailleurs rien de mal à cela. L’ambition personnelle est un moteur particulièrement puissant depuis des siècles. De nombreuses inventions révolutionnaires sont la conséquence directe de l’ambition et de la volonté personnelles.

J’ai commencé mon aventure politique avec un état d’esprit différent. J’avais 64 ans, j’avais déjà toute une carrière derrière moi.

Il était clair pour moi dès le départ que je ne m’installerais à la Rue de la Loi que pour une seule législature. Il est important d’avoir au Parlement des personnes expérimentées issues d’autres secteurs et de tous les horizons. Pas seulement des personnes issues de l’appareil du parti, de l’administration et de la profession juridique.Les « outsiders » voient les affaires politiques d’un autre œil. Plus on passe de temps dans la Rue de la Loi, plus on perd cette vue d’ensemble. C’est pourquoi il est important de ne pas s’accrocher au confort et de laisser la place à du sang neuf au moment opportun. Avant même les élections, j’avais décidé que je m’en tiendrais à un seul mandat.

Après cela, je cèderais volontiers ma place à de nouveaux talents.

Quand on fait de la politique en gardant cela à l’esprit, on est plus détaché. Vous pouvez mieux relativiser les choses. Je n’ai pas besoin d’être réélu. Je n’ai même pas envie d’être réélu. Cela donne la liberté de parole et d’action nécessaire. Je n’ai absolument pas l’ambition de devenir un dissident, ce député que tous les journalistes appellent pour qu’il « mette le feu aux poudres ». Si vous faites de la politique, vous savez que vous devez régulièrement vous taire. Mais si je ne suis vraiment pas d’accord avec une décision, je peux exprimer mon opinion en interne, librement et sans entraves. Et si nécessaire, je le fais également savoir au monde extérieur de manière appropriée. Cela me ferait tomber en disgrâce ? Tant pis. Le pire qui puisse m’arriver, c’est qu’ils m’excluent du parti.

Ce n’est pas la fin du monde. Mes convictions libérales ne s’arrêtent pas à mon engagement politique au sein du parti libéral.

Le Palais de la Nation

Un jour, mon père a débattu de la dévaluation du franc belge avec Fons Verplaetse, l’ancien Gouverneur légendaire de la Banque Nationale. Verplaetse était pour, mon père était contre. Le Gouverneur a entamé le débat par un plaidoyer passionné en faveur de la dévaluation du franc belge.

Lorsqu’il eut terminé, mon père prit la parole : « Monsieur Verplaetse, vous m’avez convaincu. » Le public de l’auditorium bondé de l’université de Gand ne savait pas ce qu’il entendait.

Mais ils ont assisté à un débat nuancé qui a profité à tout le monde. Imaginez cela aujourd’hui.

J’avais décidé de siéger à la Chambre des Représentants avec la même ouverture d’esprit que mon père.  Je n’avais pas besoin d’être réélu, j’étais même d’accord avec une éventuelle sortie anticipée en cas d’élections anticipées (en Belgique, on ne sait jamais), mais je me suis jeté dans le Parlement comme un jeune de 20 ans dès le premier jour. Je me sentais un peu comme Tintin. J’ai ressenti comme un privilège le fait de me plonger encore, à 64 ans, dans un monde nouveau et fascinant.

Le Parlement est un environnement fascinant. En se promenant dans le labyrinthe qu’est le Palais de la Nation, vous êtes vraiment immergé dans l’histoire. Vous passez devant les statues et les peintures d’anciens hommes et femmes d’État et vous ressentez la responsabilité de faire quelque chose avec le mandat qui vous a été confié par vos électeurs. Il faut veiller à ce que les colonnades et les escaliers en marbre ne se transforment pas en tour d’ivoire. Le Parlement est un microcosme, mais son impact dépasse largement les murs de ce majestueux Palais de la Nation. D’ailleurs, je ne veux pas non plus trop le romantiser. L’extérieur et les couloirs du Parlement respirent la grandeur, mais les bureaux ou la cafétéria ont le charme d’un terne immeuble de bureaux des années cinquante.

J’ai beaucoup appris au Parlement en me plongeant dans des textes législatifs interminables et des dossiers épais, mais surtout en écoutant mes collègues députés et les autres orateurs intéressants que nous avions dans l’hémicycle.

J’ai découvert et adopté de nouveaux points de vue. J’ai fait la connaissance de personnes intéressantes, à l’intérieur et à l’extérieur de mon propre parti. À la télévision, dans les journaux et sur les médias sociaux, on a l’impression que nous nous affrontons constamment à couteaux tirés. Ne le croyez pas. Lorsque les caméras cessent de tourner, nous nous traitons généralement avec courtoisie et même amicalement. Surtout dans les endroits où les journalistes ne vont pas. Peut-être devrions-nous aussi montrer cette autre facette au public ?

Patience angélique

De nombreux hommes politiques restent frustrés après leur passage à la Rue de la Loi. En général, cette frustration est une combinaison d’ambitions personnelles déçues et de désillusions quant à la manière dont la politique est menée dans ce pays. Je me suis également senti frustré ou désillusionné ces dernières années, mais ce ne sont certainement pas les émotions prédominantes avec lesquelles je me rappelle mon aventure politique.

La gratitude l’emporte. Ceux qui ont acheté ce livre en espérant y trouver des ragots juteux et des règlements de comptes vicieux vont être déçus d’emblée. Je ne veux pas passer sous silence quoi que ce soit, mais je ne veux pas non plus donner des coups.

Oui, la politique est complexe. Et oui, la politique va toujours plus lentement que vous ne le souhaitez. Mais je m’oppose à l’image selon laquelle on n’arriverait à rien dans ce pays. La politique est victime d’attentes irréalistes. En fait, elle a elle-même contribué à créer ces attentes, en donnant l’illusion que la politique doit trouver une solution à chaque problème, quelle qu’en soit l’importance. Les attentes élevées que les hommes politiques ont eux-mêmes créées leur reviennent en pleine figure comme un boomerang.

Car il est évident que les pouvoirs publics ne peuvent pas résoudre tous les problèmes. Ce n’est d’ailleurs pas une mauvaise chose. Ce n’est pas du tout le but de la politique. Nous devons avant tout donner aux citoyens et à la société les moyens de devenir (et de rester) autonomes et de s’attaquer eux-mêmes aux problèmes. Et nous devons penser à l’avenir et anticiper les problèmes. Jean-Luc Dehaene a été surnommé « le plombier » en raison de son adage selon lequel il réglait les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentaient. Un bon plombier ne se contente pas de réparer le robinet, il évite aussi les fuites

à l’avenir.

Mon voisin et ami Fons Borginon, un vétéran de la politique qui a également siégé au Parlement, m’a appris qu’il fallait être patient en tant qu’homme politique. Parfois (souvent, en fait), l’impact de votre travail parlementaire n’apparaît que lorsque vous avez vous-même quitté la Rue de la Loi. En tant que président de la Commission de l’Énergie, j’ai travaillé dur pour assurer l’avenir de notre approvisionnement en énergie. Une part importante de mon travail a consisté à libérer l’ensemble du débat sur l’énergie des dogmes et des tabous.

On ne peut commencer à élaborer des solutions que si l’on peut d’abord avoir un débat ouvert et intellectuellement honnête.

Lorsque je suis entré au Parlement et que j’ai été autorisé à diriger cette commission, un tel débat sur l’énergie nucléaire était tout simplement impossible.

J’ai pu mettre les SMR, les petits réacteurs modulaires, à l’ordre du jour du débat sur l’énergie nucléaire. La nouvelle génération d’énergie nucléaire, pour ainsi dire. Vous savez, il faut des années pour que ces éléments soient approuvés, construits et opérationnels.

Mais s’ils fonctionnent un jour, je pourrai regarder derrière moi avec fierté parce que j’aurai contribué à assurer notre approvisionnement en énergie. Un approvisionnement en énergie verte et durable. Car il s’agit là aussi d’un travail de longue haleine : faire comprendre aux gens que l’énergie nucléaire est effectivement une énergie durable.

En repensant à ces dernières années, je pense que j’ai également pu laisser mon empreinte sur la voie d’une meilleure gestion et d’une bonne information financière de la part du Gouvernement. La Chambre, en tant qu’institution, n’est pas en reste.

Ce n’est pas un détail. Les critères que nous imposons aux citoyens et aux entreprises doivent être respectés en tant qu’institution politique. Si vous exigez des efforts de la part des citoyens, vous devez vous-même donner le bon exemple au « sommet ». J’ai également évoqué la mauvaise gestion et la non-transparence des rapports de l’institution située de l’autre côté du Parc de Bruxelles, le Palais Royal. Cela a fait froncer de nombreux sourcils, mais cela a aussi mis quelque chose en mouvement.

Ce n’est pas très visible et ne génère pas de votes, mais nous devons prendre des mesures pour réduire la taille du Gouvernement dans notre pays et simplifier les réglementations.

Pour moi, il était essentiel non seulement de faire des propositions, mais aussi d’arrêter les projets de loi et les résolutions qui n’apportent que peu de valeur ajoutée. La « large » réforme fiscale en est un bon exemple. Le Gouvernement et mon parti n’ont pas aimé l’entendre, mais j’ai précisé dès le départ que je préférais ne pas avoir de réforme plutôt qu’une aventure budgétaire incertaine à des fins principalement électorales. Pour moi, il est plus important de rétablir le lien de confiance entre les citoyens et l’administration fiscale et de se concentrer sur la simplification. Il suffit de penser à la prolifération des primes de mobilité, qui fait que plus aucun travailleur ne voit la forêt plutôt l’arbre.

Lorsque je relis les articles d’opinion que j’ai écrits au cours de ma première année au Parlement, j’estime qu’ ils se révèlent toujours d’actualité.

Cela montre que la politique évolue lentement et qu’il faut être patient en tant que député. De petits pas ont été faits, mais la route est encore longue et l’agenda des réformes n’a pas eu le succès que j’espérais. Mais souvent, en politique, on n’obtient gain de cause qu’avec beaucoup de retard. Lorsque l’on n’est plus là pour en être le témoin direct.

Monter au terrain

Ce livre n’est pas un pamphlet de campagne. Je suis et resterai un libéral, je soutiendrai certainement encore des hommes politiques libéraux, mais ma propre histoire au Parlement se terminera irrévocablement après les prochaines élections. Ce livre n’est pas non plus un jugement et encore moins un bilan. Je ne considère certainement pas mes années à la Chambre avec déception ou amertume, comme c’est malheureusement le cas pour de nombreux hommes politiques qui prennent leur retraite. Oui, on se heurte régulièrement aux limites de notre système démocratique. Mais c’est le meilleur système que nous puissions avoir. Je suis plus que jamais un défenseur de la démocratie parlementaire et de la « politique », avec ses innombrables défis et modes de fonctionnement.

Ce livre est avant tout un témoignage personnel d’un entrepreneur en politique, et donc une vision purement personnelle de certains événements. Désolé si d’autres personnes ne s’y reconnaissent pas .

Ce livre est aussi une histoire personnelle avec un message.

Si nous voulons renforcer notre démocratie et rendre le Parlement plus décisif, nous devons oser changer et innover.

Ces dernières années, j’ai pu constater de près que nous avons besoin de plus de courage et de leadership. Mais le citoyen a aussi une responsabilité. Il aime parler de « politique », mais en même temps il donne un mandat vague et ambigu aux hommes politiques, se tenant très loin du débat public.

Déléguer les décisions politiques aux hommes politiques et les considérer comme des extra-terrestres et des incompétents n’est pas un modèle durable.

Nous pourrions apprendre une chose ou deux des Grecs de l’Antiquité à ce sujet. S’il est un message que je souhaite faire passer, c’est bien celui-là : engagez-vous, et montez sur le terrain.

Une meilleure gestion de l’institution Parlement Fédéral est nécessaire (pages 69 à 72 )

Je siège également dans deux commissions plus restreintes, qui ne se réunissent qu’occasionnellement : la sous-commission Cour des comptes et la commission Comptabilité.

La commission Cour des comptes, dont je suis le vice-président, suit les travaux de la grande institution chargée de contrôler les comptes de l’État. La Cour des Comptes est située dans l’ancien palais du Comte de Flandre, frère de Léopold II, à la rue de la Régence.

L’institution réalise des études approfondies en toute indépendance ou pour le compte du Gouvernement et du Parlement, n’hésitant pas à soumettre le fonctionnement du Gouvernement à un examen critique. C’est une institution plutôt anonyme, méconnue et mal-aimée, mais la Cour des Comptes remplit une fonction de surveillance importante dans notre démocratie.

La Commission Comptabilité (quel nom archaïque !) est chargée de vérifier le budget et les comptes de la Chambre (avant de les soumettre au vote en séance plénaire), ainsi que les comptes de douze institutions directement financées par la Chambre (comme la Cour Constitutionnelle ou la Cour des Comptes, entre autres). Cette approbation semble être une formalité ; il n’y a donc pas eu de lutte particulière au sein du groupe pour être autorisé à siéger au sein de la Commission Comptabilité. Mais j’ai commencé ma carrière il y a longtemps en tant qu’auditeur dans un cabinet de réviseurs d’entreprises international, et cette commission impopulaire est donc tout à fait dans mes cordes. Lorsque, au milieu de la législature, il est apparu que plusieurs hauts fonctionnaires de la Chambre s’étaient octroyés de somptueuses primes de retraite, en plus de leurs pensions déjà très élevées, tout le monde a pris conscience de l’importance de contrôler ces dépenses. Cette prime a été particulièrement mal accueillie, car les anciens présidents de la Chambre, notamment Herman De Croo et Siegfried Bracke, avaient bénéficié d’allocations supplémentaires similaires, mais approuvées par le budget. Tandis  que les hauts fonctionnaires s’étaient versés des montants qui n’avaient pas été approuvés et qui avaient même été financés secrètement par des excédents sur d’autres lignes budgétaires.

Je me rememore la crise dite VISA qui avait secoué la politique anversoise en 2003 et qui avait coûté le poste de la bourgmestre Leona Detiège et de certains de ses échevins. Toute la construction des cartes VISA pour les dépenses avait été conçue par des fonctionnaires de haut rang.

Ils ont veillé à entraîner les hommes politiques dans le bain, sans que ceux-ci ne se rendent compte de ce dans quoi ils s’embarquaient. Les hommes politiques pensaient qu’ils faisaient tout dans les règles.

Lorsqu’ils ont réalisé que les fonctionnaires les avaient piégés, ils se sont retrouvés coincés. Car, sans s’en rendre compte, ils bénéficiaient du même arrangement et des mêmes avantages.

C’était la même chose à la Chambre. La prime de pension est apparue au grand jour avec la nomination d’un nouveau directeur financier. L’affaire a explosé lorsqu’un haut fonctionnaire partant à la retraite a réclamé sa prime supplémentaire de manière anticipée. Mais l’attention s’est finalement portée sur les anciens présidents de la Chambre Bracke et De Croo. La présidente de la Chambre et son entourage ont joué un rôle dans cette affaire ( involontairement ou volontairement ?) en liant les deux dossiers et en les transmettant simultanément à la presse. Les fonctionnaires sont passés sous le radar et  l’ont échappé belle à  ce moment. Herman De Croo a immédiatement remboursé le montant qu’il avait reçu (sans tenir compte de l’ambiguïté juridique concernant sa situation spécifique), mais à ce moment-là, il était déjà trop tard. L’opinion publique s’est seulement souvenue qu’il avait reçu de l’argent (soi disant) « indûment » pendant des années.

C’est également ainsi que se joue le jeu politique, la presse étant fervente des manœuvres politiques ciblées des partis.

En effet, il est rapidement apparu que tous les partis avaient validé le régime des députés, mais qu’aucun n’avait validé celui des hauts fonctionnaires.

Lorsqu’il a fallu approuver les comptes annuels de 2023 au sein de la Commission Comptabilité, il est soudain apparu que 454 000 euros avaient été versés sans l’approbation du Parlement à plusieurs hauts fonctionnaires de la Chambre. Le nouveau directeur financier a fait preuve d’ouverture et d’honnêteté au sujet des indemnités non approuvées au cours de l’exercice écoulé.

Son prédécesseur, aujourd’hui nommé Directeur Général de la Chambre, est absent et en congé de maladie pour une durée indéterminée.

Je suggère que l’approbation des comptes annuels soit reportée afin que nous puissions déterminer exactement ce qu’il en est. Ces montants peuvent-ils et doivent-ils être récupérés ? Car cela a un impact sur les comptes annuels eux-mêmes. Ma proposition n’est  pas appuyée par Eliane Tillieux (PS), qui a deux casquettes et qui est en même temps Présidente de le Chambre et Présidente de la Commission Comptabilité. Tout le monde est ennuyé par le dossier des indemnités, mais au même moment, dans une autre salle du Parlement, la ministre Lahbib est sous le feu des critiques à propos des visas iraniens. Le Gouvernement peut se passer sans problème d’une nouvelle dispute avec le PS à propos d’indemnités injustifiées pour les hauts fonctionnaires . C’est ce que la Présidente de mon propre groupe vient me dire sans ambages.

Je ne pense pas qu’il faille laisser passer cela et je quitte la réunion. Je laisse le vote à la présidente de mon groupe. On pourrait aussi parler de bavardage, j’en conviens. Mais j’ai clairement formulé mes objections et mes propositions. Tous les collègues savent ce que j’en pense et l’opposition exprimera son appréciation pour mon attitude plus tard en séance plénière. Un maigre réconfort.

Finies les demi-mesures ( pages 102 à 107 )

Avec une économie en bonne santé, un capital humain abondant et une position centrale en Europe, nous nous en sortons pour l’instant. Mais cela ne durera pas, compte tenu de tous les défis auxquels nous sommes confrontés, tous assortis d’un prix élevé.

Le vieillissement de la population risque de faire grimper les dépenses d’assurance maladie et les pensions dans les prochaines décennies. Le changement climatique impose une conversion coûteuse de notre système énergétique et de nombreuses interventions pour faire face aux effets du réchauffement de la planète. La police et la justice réclament des moyens supplémentaires pour être plus efficaces. Nous devons augmenter nos dépenses de défense pour respecter nos engagements internationaux dans un monde incertain et instable.

Si nous ne voulons pas laisser à nos enfants et petits-enfants un pays en quasi-faillite, nous devons nous éloigner de notre tradition belge des demi-mesures. Nous devons donc oser réformer, dans plusieurs domaines fondamentaux.

1) Une réforme fiscale

Nous devons enfin nous atteler à une réforme fiscale en profondeur. Elle est nécessaire à la fois pour donner de l’oxygène à notre économie et pour mettre plus de gens au travail. L’ambition du Gouvernement Fédéral est de porter le taux d’emploi en Belgique à quatre-vingts pour cent. Aujourd’hui, nous sommes pris dans un cercle vicieux. Pour face aux défis du futur, il faut que le budget soit assaini, il faut que plus de gens travaillent. Mais notre système fiscal taxe si lourdement le travail qu’il décourage aujourd’hui le travail au lieu de l’encourager. Nous pénalisons financièrement les personnes qui commencent à travailler. Pour les bas salaires, il est souvent plus attirant de ne pas travailler que de travailler. Bien sûr, cela ne peut pas être l’objectif.

Le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem, a fait une modeste ouverture sur la réforme fiscale. Je dis « modeste » parce qu’il ne s’agissait pas d’une véritable réduction d’impôts.

Pour réduire les charges sur le travail, d’autres impôts ont été augmentés et les régions elles-mêmes ont bénéficié de moins de transferts.

Cette dernière mesure aurait eu pour effet de creuser davantage le déficit public. Il ne s’agissait donc pas d’une réforme en profondeur qui osait s’attaquer aux dépenses publiques. Il en est résulté une guerre de positions à propos de mesures spécifiques, qui a rendu irréalisable toute réforme fiscale, même petite.

Nous pouvons continuer à faire deux pas en avant et un pas en arrière, mais nous ne pouvons plus faire l’économie d’une véritable réforme fiscale en profondeur. Il est essentiel de réduire la charge fiscale totale. La pression sur le travail doit absolument diminuer. Nous pouvons compenser en partie cette diminution d’impôts sur le travail en supprimant toutes sortes de régimes favorables et elle peut être financée en partie par l’impôt minimum pour les multinationales. Il y aura beaucoup de résistance à cela, mais le Gouvernement devra pour une fois rester ferme et ne pas céder au chantage des puissants lobbies.

Mais la réforme fiscale ne doit pas devenir une opération donnée d’une main et reprise de l’autre. L’allègement de la charge pesant sur le travail ne peut être compensé qu’en partie par d’autres impôts et par l’élimination des régimes favorables. L’autre partie doit provenir d’une plus grande responsabilisation des régions, d’une limitation des transferts vers la sécurité sociale, d’un écrémage des soins de santé et d’une réduction drastique des régimes favorables en matière de pensions.

Sinon, nous nous contenterons toujours de bricoler.

Autre point important : nous devons nous débarrasser du modèle de conflit dans notre fiscalité entre le citoyen et l’administration fiscale.

J’ai déposé au Parlement une proposition de résolution visant à renforcer les droits des contribuables. Nous devons passer d’un modèle de conflit à un modèle de collaboration.

Les citoyens seront ainsi plus enclins à soutenir pleinement la réforme fiscale.

2) Ne dépenser l’argent que pour les missions essentielles de l’Etat (‘kerntaken’)
La frénésie de dépenses débridées et la recherche de raccourcis fiscaux ont abouti à un pays dont le Gouvernement est dépassé par les événements. Confronté à une charge fiscale parmi les plus élevées d’Europe, l’Etat ne fournit que des services  de qualité moyenne. Ce n’est pas un hasard si cela s’est produit pendant une période dominée par les débats sur une énième réforme de l’État. Le dépouillement systématique du Gouvernement Fédéral au profit des États fédérés n’a pas permis d’améliorer le fonctionnement de l’État. Nous devons ramener nos dépenses publiques au niveau de celles de nos pays voisins et accroître la productivité des services publics afin que les contribuables en aient pour leur argent.

Les différents gouvernements et parlements de ce pays doivent enfin tenir un véritable débat sur les missions essentielles de l’état ( ‘kerntaken’) . Que fait encore le Gouvernement ? Que ne fait-il pas ? C’est un débat ardu : ce qui est essentiel pour l’un sera superflu pour l’autre, et vice versa. Mais c’est un débat que nous ne pouvons plus éviter. Je vois ici une tâche importante pour le Parlement. Alors que les gouvernements sont souvent absorbés par les crises et autres préoccupations quotidiennes, les députés peuvent débattre plus en profondeur des tâches essentielles du Gouvernement. Ils peuvent dépasser les frontières entre les partis et les idéologies pour trouver un terrain d’entente.

3) Maîtriser le budget de la Sécurité Sociale
Dans notre pays, la Sécurité Sociale dispose aujourd’hui d’un budget plus important que celui du Gouvernement Fédéral. Sur les 132 milliards d’euros de dépenses annuelles, seuls 76 milliards sont couverts par ses propres recettes, de sorte que le Gouvernement Fédéral a dû ajouter 48 milliards en 2023. La Sécurité Sociale est une bannière qui recouvre de nombreuses nuances : pensions, soins de santé, allocations de chômage et autres, crédit-temps et autres congés thématiques… Une Sécurité Sociale solide est un pilier de notre État-providence : les citoyens et les entreprises y contribuent en sachant qu’ils peuvent eux aussi compter sur un filet de sécurité en cas de grand malheur.

Le problème n’est pas que nous dépensions beaucoup d’argent pour notre sécurité sociale. Le problème est que nous ne savons pas si cet argent est dépensé de manière optimale, parce que le Gouvernement et le Parlement n’ont pratiquement aucune idée des flux financiers complexes au sein de cette sécurité sociale. En fin de compte, le Gouvernement Fédéral doit combler les déficits, mais il n’a aucune influence sur la manière dont ce gigantesque budget s’élevant à des milliards est dépensé.

Il signe en fait un chèque en blanc. Si nous voulons maîtriser notre budget et notre dette, nous devons également mieux contrôler le budget de la Sécurité Sociale.

Il s’agit notamment de responsabiliser tous les participants au système pour qu’ils utilisent les ressources de la Sécurité Sociale de manière intelligente et économe. Par exemple, il n’y a guère de pays qui dépensent moins pour la prévention en matière de soins de santé, alors que nous dépensons énormément pour nos soins de santé. En bref, nous dépensons beaucoup d’argent pour traiter les problèmes de santé physique et mentale, mais très peu pour les prévenir.

Imaginez combien d’argent nous économiserions en fin de compte en investissant davantage dans la prévention ?

Ce n’est qu’une anecdote, bien entendu, mais mon kinésithérapeute (qui a également suivi une formation en acupuncture en Chine) m’a raconté que dans de nombreuses villes chinoises, les médecins étaient indemnisés en fonction de l’état de santé de la population. Ils gèrent chacun un quartier. L’état de santé des habitants est surveillé. S’il s’améliore, les médecins reçoivent plus de moyens. De cette manière, la Chine encourage l’attention portée à la prévention. Nous avançons prudemment vers plus de prévention, par exemple en finançant les centres de santé de quartier par patient et non par consultation.

Mais la condition sine qua non d’une véritable révolution est, bien entendu, que nous sachions à quoi nous consacrons notre argent aujourd’hui et ce que cet argent rapporte concrètement. Dans le domaine des soins de santé, nous avons deux idées sur la question.

Qui détient vraiment le pouvoir ? (pages 108 à 115 )

Même lorsque je siégeais au conseil communal d’Anvers, j’ai remarqué que les hommes politiques se voyaient attribuer beaucoup plus de pouvoir qu’ils n’en avaient en réalité. Il en va de même au Parlement.

Même les ministres ont moins de pouvoir que la plupart des gens ne le pensent. Ou qu’ils ne le pensent eux-mêmes. Ce n’est pas un phénomène belge, mais une évolution que l’on observe partout dans le monde. Dans un monde globalisé, il y a des forces en jeu que les pouvoirs élus ont du mal à maîtriser.

‘The next superpower isn’t who you think.’ Tel est le titre alléchant d’une conférence TED donnée par le politologue américain Ian Bremmer. Il a décrit comment, à côté d’un ordre mondial militaire (que les Américains dominent) et d’un ordre mondial économique (devenu multipolaire), un ordre mondial digital s’est également développé. Les entreprises américaines GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) et leurs homologues chinoises BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) sont devenues de véritables superpuissances.

Nombre de ces entreprises technologiques ne sont apparues qu’au cours de ce siècle, mais elles sont devenues plus puissantes que des pays et des gouvernements en un temps record.

Superpuissances digitales

Le nouvel « ordre mondial digital » détermine déjà notre façon de penser et d’agir aujourd’hui. Les entreprises technologiques ont un accès massif à nos données personnelles. La percée de l’intelligence artificielle ne fait qu’accroître l’influence de la technologie sur nos vies et notre société. La technologie détermine l’avenir plus que n’importe quel Gouvernement.

En effet, dans des cas extrêmes, la technologie détermine même qui gouvernera et avec quel programme. Il ne s’agit pas seulement d’un scénario catastrophe, c’est malheureusement déjà la réalité. Les fausses nouvelles et la propagande en ligne ont joué un rôle, entre autres, dans le référendum sur le Brexit et la victoire électorale de Donald Trump.

Par conséquent, le grand défi consiste à maîtriser l’ordre mondial digital. Les gouvernements doivent redéfinir leur mission avec une nouvelle humilité.

Ils ne doivent pas vouloir tout faire et tout résoudre eux-mêmes à tout prix. Les idées peuvent venir d’ailleurs.

Les gouvernements, et dans une moindre mesure les parlements, sont une partie du rouage qui fait tourner les sociétés et les économies. Ce qu’ils doivent faire, c’est créer un cadre dans lequel les citoyens peuvent rester maîtres de leurs pensées et de leurs actions. Cela implique de s’opposer aux entreprises trop grandes et trop puissantes. Surtout si, à l’ère de l’intelligence artificielle, elles laissent les algorithmes prendre des décisions et éliminent de plus en plus la composante humaine.

En Europe, nous semblons l’avoir discrètement compris. L’Union européenne impose en effet des règles strictes aux grands géants de la tech pour mieux protéger notre vie privée et nos informations personnelles. Pour une fois, les Américains suivent l’approche européenne, et non l’inverse. Mais l’équilibre entre l’encouragement de l’entrepreneuriat et de l’innovation, d’une part, et le contrôle des entreprises trop puissantes, d’autre part, reste difficile à trouver.

Lobbyistes et bombardement de subventions

D’ailleurs, les grandes entreprises technologiques ne sont pas les seules à faire pression sur les hommes politiques et à tenter d’influencer les décisions en leur faveur. Rien qu’au sein et autour des institutions européennes, il y a autant de lobbyistes que de fonctionnaires européens. On estime leur nombre à 25 000. Les lobbyistes des secteurs et des entreprises gravitent également autour des cabinets, des parlements et même des maisons communales.

Le « lobbying » a mauvaise réputation, alors que la défense des intérêts n’est pas mauvaise en soi.

Chacun a le droit de défendre ses intérêts, surtout face à un Gouvernement fort et imposant. En tant que député, vous recevez constamment des documents et des rapports.

Ils sont souvent colorés, bien entendu, mais ils permettent d’être bien informé sur un dossier et d’avoir une vue d’ensemble de tous les points de vue et de tous les intérêts.

J’assiste également à des débats et même à des déjeuners avec des chefs d’entreprise, des organisations professionnelles et d’autres groupes d’intérêt. C’est très instructif, car cela permet d’intégrer différents éléments dans un débat.

Cela ne devient problématique que lorsque certains secteurs ou entreprises privées éclipsent les décideurs politiques et les mettent dans leur poche. La politique ne peut pas faire le bien de tout le monde, même si nous créons parfois cette illusion en Belgique. Il incombe aux parlements et aux gouvernements de trouver un équilibre entre des intérêts privés souvent contradictoires. Mais si un secteur ou une entreprise a trop d’influence sur cet équilibre, ce n’est pas sain.

En tant que député nouvellement élu, j’ai visité la Foire Agricole de Libramont, la plus grande de notre pays et la grand-messe annuelle du secteur agricole. Je n’oublierai jamais qu’un éminent représentant du secteur pharmaceutique s’est adressé à moi à l’improviste. Il m’a dit que les hommes politiques ne pouvaient pas toucher aux avantages fiscaux accordés au secteur pharmaceutique, car les entreprises pharmaceutiques feraient alors leurs valises et iraient s’installer ailleurs en Europe.

Je n’ai pas vraiment compris ce qui m’arrivait. Je n’avais pas la moindre intention d’évoquer ces avantages ; je sais très bien à quel point les entreprises pharmaceutiques innovantes sont importantes pour notre pays. Je n’avais d’ailleurs rien à dire à ce sujet.

Pourtant, cet homme a jugé nécessaire de proférer un soupçon de chantage.

C’est ce lobbying qui a conduit, tant au niveau européen (où c’est encore pire) qu’au niveau belge et flamand, à un enchevêtrement de règles et de mesures favorables, souvent taillées sur mesure pour un secteur, voire une entreprise.

Par exemple, l’enthousiasme de la ministre de l’Énergie à être la première à approuver une « loi sur l’hydrogène » s’est avéré si grand qu’elle a ignoré les droits des acteurs qui avaient investi dans le transport de l’hydrogène pendant des années et qui ne voulaient pas simplement céder leurs activités à un monopoleur. Ce monopoliste pourrait devenir le gestionnaire de réseau Fluxys. Par ailleurs, dans l’affaire du tax shelter de l’industrie du jeu, c’est le ministre des Finances qui a accordé des subventions fédérales à un secteur économiquement rentable, qui de surcroît relève de la compétence des régions. Le contribuable fait donc un cadeau financier à un secteur qui se porte bien et qui n’a pas du tout besoin d’argent.

Les gouvernements et les parlements sont souvent sur la corde raide. Lorsque les multinationales mondiales ont des projets d’investissement, elles font souvent le tour des pays. Elles font jouer ces pays les uns contre les autres et les poussent à soumissionner les uns contre les autres. Elles investissent dans le pays où elles doivent payer le moins d’impôts. Que doivent donc faire les hommes politiques ? D’une part, un tel investissement génère beaucoup d’emplois. D’autre part, il désavantage les petites entreprises qui ne peuvent pas compter sur les mêmes avantages. Alors, faut-il choisir l’emploi ou l’égalité des chances ? Le président américain Joe Biden, avec son Inflation Reduction Act (IRA), accorde des subventions massives pour les investissements dans la transition énergétique.

L’Europe doit-elle laisser ces entreprises s’installer aux États-Unis ou doit-elle participer à un bombardement de subventions ?

Ces dilemmes montrent clairement qui détient le pouvoir. Même si elles respectent parfaitement les règles, les grandes entreprises et les puissants lobbies pèsent très lourd dans les décisions politiques.

L’État dans l’État

En Belgique, on observe encore un autre phénomène. Il existe toutes sortes de commissions, comités, conseils, groupes consultatifs et autres structures intermédiaires.

Souvent inconnus, le plus souvent invisibles, mais puissants. « Sans qu’on s’en rende compte, ils sont devenus des codécideurs. Ils ont un pouvoir disproportionné », écrit l’ancien secrétaire d’État Philippe De Backer dans son livre sur la crise du coronavirus. Il appelle ces structures « un État dans l’État ».

J’ai moi-même été confronté à un tel comité. Mon épouse est cofondatrice de l’asbl Caring Hat. En collaboration avec la créatrice de chapeaux bruxelloise Fabienne Delvigne, cette asbl veut offrir aux patients atteints du cancer et portant un couvre-chef adapté (qui peut être un chapeau, mais aussi un foulard, par exemple) une alternative aux perruques. En effet, une étude hospitalière montre qu’un tiers des femmes atteintes d’un cancer ne veulent pas de perruque ou ne la supportent tout simplement pas.

Un chapeau n’est pas seulement une solution esthétique, il peut aussi remonter le moral des patientes. Un couvre-chef, qu’il s’agisse d’une perruque ou d’autre chose, peut avoir un effet important sur l’estime de soi des patients atteints du cancer.

Cependant, l’INAMI (Institut National d’Assurance Maladie-Invalidité) ne rembourse que les perruques, pour un montant compris entre 180 et 270 euros. Un tiers des patients atteints du cancer ne veulent pas ou ne supportent pas de perruque. Avec mon collègue de l’Open Vld Robby De Caluwé, j’ai donc déposé une proposition de loi visant à donner aux malades du cancer qui perdent leurs cheveux le choix entre le remboursement d’une perruque ou d’un couvre-chef adapté, tel un chapeau. C’est une proposition à laquelle on ne peut pas s’opposer, pensions-nous. Non seulement vous aidez les patients atteints du cancer, mais en plus, cette mesure est neutre sur le plan budgétaire. Il n’y a pas plus de patients qui deviennent soudainement éligibles au remboursement, certains des patients qui étaient auparavant remboursés pour une perruque ne le seraient plus que pour un chapeau. Les moyens restent les mêmes, ils sont simplement distribués de manière légèrement différente.

Notre projet de loi n’a tout simplement pas été inscrit à l’ordre du jour de la commission. Les projets de loi du Gouvernement étant prioritaires. Le remboursement des couvre-chefs est resté au bas de la pile des propositions à examiner. Nous avons décidé de changer de tactique. Pourquoi ne pas demander directement à Frank Vandenbroucke, le Ministre de la Santé publique, d’inclure le remboursement dans l’un des projets de loi regroupés intitulés « Dispositions diverses » qu’il soumet régulièrement ? Il s’agit d’une loi-cadre qui regroupe toutes sortes de petites lois.

Le ministre y travaillera, promet-il. « Encore un peu de patience », m’a-t-on dit à la mi-2022. Le projet doit encore passer devant l’INAMI, qui décide des remboursements. Il doit encore obtenir le feu vert de deux commissions au sein de l’INAMI. Après une autre année d’attente, on apprend juste après l’été 2023 que ces commissions approuvent un remboursement à hauteur de 25 euros. Pas 180 à 270 euros, comme pour les perruques, mais une aumône de 25 euros. Une insulte pour les patients atteints du cancer.

Nous avons évoqué cette décision avec le ministre, qui a de nouveau mis sur la table un nouvel Arrêté Royal prévoyant un remboursement plus élevé. Deuxième fois, la bonne alors ? Soyons clairs : l’INAMI gère aujourd’hui quelque 40 milliards d’euros, dont 1,2 million d’euros pour le remboursement des perruques. Nous avons également essayé de contacter les responsables de l’INAMI pour connaître les raisons de ce montant ridiculement bas.

Il nous a fallu beaucoup d’efforts pour parler à quelqu’un.

Morale de l’histoire : en matière de sécurité sociale, le pouvoir de décision n’appartient pas au ministre ou au Gouvernement. Il est détenu par toutes sortes de commissions et autres organes, où les médecins, les mutuelles et les syndicats peuvent bloquer ou annuler des décisions démocratiques.

Qui détient vraiment le pouvoir ?

Plus de nuances de gris au Parlement ( page 154 )

On peut le prendre au pied de la lettre. Il ne faut pas aller aussi loin qu’aux États-Unis, où les candidats à la Présidence sont des octogénaires. Mais en matière de rotation, je pense sincèrement que la politique bénéficie des personnes qui passent encore par la rue de la Loi à la fin de leur carrière professionnelle. Comme une sorte de dernier tour, avant de profiter d’une pension bien méritée. Cette génération grise de nouveaux hommes politiques apporte l’expérience (de vie) et l’expertise nécessaires d’autres secteurs à l’activité politique.

Bien entendu, je ne peux parler que pour moi, mais je trouve que je peux aussi relativiser plus facilement l’agitation politique.

Lorsque vous avez dépassé la soixantaine, vous avez nagé dans certaines eaux et traversé certaines tempêtes. On n’est plus aussi facilement ébranlé par l’émeute du jour, dont on sait qu’elle se dissipera le lendemain. Je peux encore croire à l’inertie ou à l’indécision de la politique, mais je sais aussi maintenant que l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs.

Les hommes politiques de mon âge, surtout s’ils sont nouveaux et n’ont pas fusionné avec leur mandat politique, peuvent aussi être détachés du monde politique. Je n’ai plus grand-chose à prouver, je suis financièrement indépendant, je n’ai pas besoin de la politique. Si mon parti n’a plus besoin de moi demain, je m’en accommoderai parfaitement. Les trentenaires et les quadragénaires n’ont généralement pas encore cette liberté.

Franchir la frontière linguistique (pages 158 – 159)

Lors de la dernière législature, j’étais l’un des rares hommes politiques flamands à participer régulièrement à des débats sur les chaînes de télévision francophones. Il s’agissait de débats parfois surréalistes, avec sept ou huit hommes politiques différents autour de la table, tous prononçant de longs discours dans la bonne tradition francophone. Un « kiekenkot », comme on dit ici à Anvers. La plupart de mes collègues flamands ne consacrent aucun temps à ces débats. Voici leur raisonnement : « Pourquoi le ferions-nous ? De toute façon, il n’y a pas un seul francophone qui peut voter pour moi. » Si vous raisonnez de manière purement opportuniste, c’est en effet une perte de temps. Mais j’ai trouvé ces débats amusants et très instructifs.

Dans ce pays, on ne peut conclure d’accords qu’au-delà de la frontière linguistique. Si vous voulez obtenir quelque chose, vous avez aussi besoin de partenaires francophones. Il est donc normal que vous vous efforciez de comprendre comment pensent vos collègues francophones. Qu’est-ce qui est important selon eux ? S’ils sont sur une autre longueur d’onde dans un dossier, d’où vient ce point de vue ? Et comment surmonter les différences ?

Mon épouse est Wallonne, j’ai une maison de campagne à Namur où j’aime me retrouver, j’ai beaucoup d’amis en Wallonie.

Je suis même récemment devenu membre du MR, les libéraux francophones. Je n’ai jamais cru à cette fable des deux populations et des deux démocraties. Un Anversois et un Limbourgeois ou un Flamand occidental sont aussi semblables ou différents qu’un Anversois et un Namurois. Seulement, nous nous connaissons à peine et nous ne le savons donc pas. En raison de notre système électoral, les députés ne parlent que pour leur propre paroisse. Les Flamands ne peuvent voter que pour les Flamands, les Wallons que pour les Wallons. Peu de députés ressentent donc le besoin de parler la langue de l’autre, d’apprendre à se connaître et à se comprendre au-delà des clichés et des caricatures.

Pourtant, il est utile de regarder certains sujets avec un autre regard. C’est pourquoi je m’attache également à entretenir de bons contacts avec les députés de tous les autres partis. Au-delà des frontières de la majorité et de l’opposition, même avec les extrêmes de gauche et de droite. Lorsque nous avons effectué une visite de travail au Danemark avec la Commission Énergie, le membre du PTB de service m’a complimenté pour mon excellent travail de chef de délégation. Même si vous êtes en profond désaccord, vous devez toujours être ouvert à un dialogue de fond. Cela s’est vérifié lors de la visite du nouveau réacteur nucléaire « EPR » en Finlande avec les Verts et le Vlaams Belang.